Violences intrafamiliales : quatre associations attaquent l’expert Paul Bensussan | Mediapart

Violences intrafamiliales : quatre associations attaquent l’expert Paul Bensussan | Mediapart

La requête, déposée par quatre structures spécialisées dans la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles, reproche au psychiatre Paul Bensussan d’avoir recours au concept controversé d’aliénation parentale.

Hugo Lemonier

8 avril 2022 à 18h21

En France, il est le visage du « syndrome d’aliénation parentale » (SAP). Paul Bensussan, sexologue et psychiatre agréé par la cour d’appel de Versailles, a bâti sa renommée autour de cette théorie non reconnue par la communauté scientifique internationale. Sous l’influence du « parent aliénant » – souvent la mère –, l’enfant entrerait dans une « campagne de dénigrement » contre son autre parent, au point – parfois – de l’accuser injustement de maltraitances physiques ou de violences sexuelles.

Quatre associations, spécialisées dans la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles, ont envoyé, vendredi 8 avril, une requête au Conseil national de l’ordre des médecins et au parquet général de la cour d’appel de Versailles. CDP-Enfance, le Collectif féministe contre le viol (CFCV), Innocence en danger et REPPEA (Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence) demandent à l’ordre des médecins « de constater les manquements déontologiques [du Dr Paul Bensussan] lors des expertises menées et d’en tirer toutes les conséquences disciplinaires qui s’imposent ». Ces associations réclament également que le psychiatre ne soit pas réinscrit par la cour d’appel de Versailles sur la liste des experts pouvant « être missionnés dans des dossiers de violences sur mineur ».

Des auditions d’enfants jugées contraires au code de déontologie

Les associations requérantes s’appuient sur neuf expertises versées au dossier, que Mediapart a pu consulter. Dans chacune de ces procédures judiciaires, Paul Bensussan avait conclu à une forme d’aliénation parentale. La requête ne revient pas sur le fond des dossiers individuels, mais tente de mettre en exergue les méthodes employées par le psychiatre et « l’absence de fondement scientifique crédible attachée à [sa] théorie ».

Paul Bensussan sur le plateau d’Europe 1 en mars 2021

Dans plusieurs cas cités, l’entretien entre le Dr Bensussan et l’enfant n’aurait pas duré plus de « vingt minutes », selon les attestations fournies par les mères des mineur·es examiné·es : « Cette durée est notoirement insuffisante pour mener un entretien avec un enfant ayant dénoncé des faits de maltraitance et élaborer un diagnostic fiable », jugent les requérantes.

Aucune règle déontologique, aucune disposition législative ne contraint l’expert ou l’experte à détailler les conditions de son rendez-vous avec un enfant. Contrairement à n’importe quelle audition réalisée dans le cadre de la procédure pénale, la durée de l’entretien n’est souvent pas précisée par l’expert·e. Et, quand elle l’est, les parties à la procédure ne disposent d’aucun moyen de la vérifier ou de la contester. Quand bien même s’agirait-il d’un·e mineur·e, dont la moindre audition est pourtant filmée, l’entretien avec l’expert·e ne fait pas l’objet d’un enregistrement vidéo versé au dossier.

Dans une des expertises citées dans la requête, le Dr Bensussan se contente d’une « observation » de deux fillettes « dans la salle d’attente »« Il serait excessif de parler d’entretien », convient-il dans son compte-rendu.

« Aucune formation » en matière de « recueil de la parole » d’enfant

Dans plusieurs expertises versées aux débats, le psychiatre développe de longues analyses sur la « fiabilité du dévoilement » des enfants, sans les avoir examinés. Revendiquant une « approche probabiliste », le Dr Bensussan s’attache à détailler les éléments du contexte le faisant douter de la réalité des violences physiques ou sexuelles reprochées au père.

Ces expertises « se révèlent totalement tendancieuses, voire uniquement idéologiques, et ne sont pas basées sur des constatations médicales », selon les requérantes. « Ces conditions insatisfaisantes de recueil de la parole de l’enfant, loin d’être fortuites, trouvent en réalité leur origine dans l’absence totale de formation du DBensussan en pédopsychiatrie. »

S’il a fait des « abus sexuels sur mineurs » l’une de « ses thématiques de recherche »comme l’indique son CV, le Dr Paul Bensussan ne disposerait, selon les requérantes, « d’aucun diplôme de pédopsychiatrie » et ne justifierait « d’aucune formation […] en recueil de la parole de l’enfant victime de violences ».

Les associations à l’origine de la requête remarquent d’ailleurs que l’expert « l’admet lui-même », dans un mail envoyé à la mère d’un enfant qui s’est plaint de violences de la part de son père : « Il me semble nécessaire de vous dire que je ne suis pas pédopsychiatre », précise-t-il.

Or, la conférence de consensus établie à la suite de l’affaire Outreau recommandait dès 2007 que tout expert « désigné pour évaluer un mineur possède une compétence en pédopsychiatrie ou en psychiatrie de l’adolescent attestée par sa formation et par une pratique régulière de la spécialité ».

En dépit de ces préconisations, renouvelées encore récemment par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), la ou le juge demeure libre du choix de l’expertise. La qualification de spécialiste en psychiatrie autorise l’exercice auprès des sujets de tous âges. Le Dr Bensussan est, de fait, régulièrement mandaté pour examiner des mineur·es.

Paul Bensussan, « militant du SAP »

Les requérantes dénoncent « l’absence de neutralité et d’indépendance » du psychiatre, dépeint comme proche des associations de défense des pères. Le DPaul Bensussan n’a jamais fait mystère de son engagement pour la reconnaissance du « syndrome d’aliénation parentale », soulignent les associations. En amont de la publication de la cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5), le psychiatre s’était joint à l’initiative d’autres partisans du SAP pour que leur théorie intègre, en 2013, le fameux manuel dédié aux troubles mentaux. Finalement, le SAP n’avait pas reçu la bénédiction du comité rédacteur du DSM-5.

Le psychiatre continuait cependant, en 2015, de relayer la définition de « l’aliénation parentale » – dans sa « forme la plus actuelle » – à l’appui de l’une de ses expertises, « en occultant volontairement l’état des connaissances scientifiques », selon les requérantes. « Ce faisant, le Dr Bensussan tente grossièrement de tromper la religion du tribunal en présentant le SAP comme ayant une reconnaissance scientifique. »

Dans ce dossier, le psychiatre avait même conclu à l’existence d’une aliénation parentale jugée « sévère » ; et ce, « malgré des violences dénoncées par plusieurs enfants », d’après les associations à l’origine de la requête.

Contacté, le Dr Bensussan explique à Mediapart « réserver ses réponses aux instances ordinales ». L’expert a cependant signé une tribune publiée sur le site de Marianne, aux côtés de l’avocate Marie Dosé, dans laquelle il déplore que « l’absence de l’aliénation parentale des classifications actuelles [soit] souvent présentée comme la preuve de sa non-existence » : « La problématique figure pourtant sans ambiguïté dans l’esprit, sinon la lettre du DSM-5 […], avec l’apparition de nouvelles entités, comme “l’abus psychologique de l’enfant”, qui montre que l’abus n’est pas seulement sexuel. »

Sans présager des suites données à cette requête, cette offensive inédite contre l’expert Bensussan a reçu le « soutien moral » de la Fondation des femmes : « Le Dr Bensussan est un militant du SAP, estime Anne-Cécile Mailfert, présidente de la structure. Cela ne me dérange pas qu’on ait des points de vue. J’ai les miens, mais je ne prétends pas à la neutralité d’un expert. »

Selon les associations à l’origine de la requête, « l’enfant est toujours considéré par le Dr Bensussan comme contaminé, sous influence ou victime du syndrome d’aliénation parentale, sous l’emprise maternelle »« Un diagnostic posé de manière systématique […] sans la moindre preuve ou élément clinique », dénoncent-elles.

Hugo Lemonier

Source : Violences intrafamiliales : quatre associations attaquent l’expert … | Mediapart

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