Loi sur les violences sexuelles : juger vite ou juger bien ? – France 24
Critiqué pour ne pas prévoir d’âge en-dessous duquel un acte sexuel avec pénétration serait un viol, l’article 2 du projet de loi Schiappa a été adopté par les députés mardi. Regards croisés d’un magistrat et d’un avocat.
Malgré la polémique, l’article 2 du projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes a été adopté à l’Assemblée nationale en première lecture, dans la nuit du mardi 15 au mercredi 16 mai. Dans une lettre ouverte au président Macron, plus de 200 signataires avaient dénoncé l’absence d’une mention sur l’âge en-dessous duquel un acte sexuel avec pénétration serait jugé comme un viol, sans considération de la notion de consentement, pourtant promis par la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.
Second point litigieux, la création d’un délit où un acte de pénétration sexuelle sur mineur serait puni de 10 ans d’emprisonnement. Si les signataires de la lettre ouverte jugent que le texte ne protège pas assez les victimes mineures, le gouvernement a défendu jusqu’au bout un texte de loi qui devrait faciliter la condamnation d’auteurs de violences sexuels qui échappaient jusqu’ici souvent à la justice faute de parvenir à prouver le viol. Jacky Coulon, magistrat et membre de l’Union syndicale des magistrats, et Pascal Cussigh, avocat et signataire de la lettre de protestation, sont revenus pour France 24 sur ces questions.
L’article 2 affirme que si un viol n’a pas pu être prouvé, l’acte de pénétration sexuelle sur mineur sera dans tous les cas puni de 10 ans d’emprisonnement. La création de ce délit permettra-t-elle d’aboutir plus systématiquement à une condamnation, ou est-ce un risque de voir de potentiels viols requalifiés en atteintes sexuelles ?
Jacky Coulon, magistrat : Aujourd’hui, le délit d’atteinte sexuelle sans contrainte, sans violence, sans surprise, avec pénétration, est passible de 7 ans d’emprisonnement. L’article 2 du projet de loi Schiappa prévoit 10 ans de prison. Il y a donc une aggravation de la répression du délit d’atteinte sexuelle et pour autant, ça ne déclasse pas le viol. En effet, un viol est qualifié comme tel si l’acte sexuel avec pénétration est effectué avec violence, menace et surprise. Si on ne peut ne pas prouver tous ces critères, cela passe comme une atteinte sexuelle et désormais, il sera plus durement puni. Effectivement, en prenant à la lettre la loi actuelle, si un enfant de 10 ans subit un acte sexuel avec pénétration et qu’on ne parvient pas à prouver qu’il y a eu contrainte et violence, verra son agresseur écoper de 7 ans au lieu de 10 ans, et au lieu de rien du tout, si l’affaire était jugée aux assises. Celui-ci sera condamné pour atteinte sexuelle et non pas pour viol.
Pascal Cussigh, avocat : C’est assez évident qu’avec cette nouvelle mention, de possibles viols seront requalifiés comme des atteintes sexuelles. En consacrant le fait qu’une atteinte sexuelle avec pénétration sera dans tous les cas condamnée à 10 ans d’emprisonnement, la tendance des magistrats sera de renvoyer des affaires de viols compliquées au tribunal correctionnel, car la procédure est plus rapide et soi-disant moins traumatisante pour les victimes.
Cet article risque-t-il d’inciter les magistrats à diriger les victimes vers un tribunal correctionnel, qui jugera un délit d’atteinte sexuelle, plutôt que vers les assises qui condamnerait un viol plus lourdement ?
J.C. : Il est vrai qu’avec cette loi qui permet une condamnation systématique au tribunal correctionnel des auteurs d’atteintes sexuelles avec pénétration, les magistrats vont diriger certaines affaires en correctionnelle. Cette tendance s’explique par le fait que les cours d’assises, où l’on juge les crimes comme le viol, sont encombrées. Là-bas, les délais de jugement sont insupportables pour les victimes et le cadre des assises peut être traumatisant. On les oblige à revenir sur l’ensemble des faits, à l’oral, ce qui est difficile pour elles. Donc oui, il arrive parfois que certaines affaires soient requalifiées en agressions sexuelles alors qu’elles pourraient être qualifiées de viols. On parle alors de correctionnalisation des affaires d’atteintes sexuelles, et cela, on aimerait que ça s’atténue.
P.C. : La correctionnalisation des atteintes sexuelles avec pénétration est un vrai risque car avec cet article, les magistrats se diront qu’au moins, il y aura une condamnation dans les affaires de viols qui sont, par nature, difficiles à prouver. Mais les peines sont bien plus faibles en correctionnelle qu’aux assises. Donc, en augmentant la peine du délit d’atteinte sexuelle, on incite les magistrats, qui sont débordés, à privilégier la poursuite en atteinte sexuelle car ils évitent toutes les démarches fastidieuses visant à prouver la contrainte.
Afin d’éviter la non-condamnation d’un agresseur dont l’acte de viol est difficile à prouver, pourquoi ne pas avoir établi un âge en-dessous duquel tout acte de pénétration sur mineur est un viol ?
J.C. : Ce projet se heurte à un problème, la présomption de culpabilité. En droit français, cela n’est pas possible et d’ailleurs, le Conseil d’État, chargé de valider la constitutionnalité des lois, ne l’a pas validé. Un accusé doit pouvoir se défendre et ne pas être d’office accusé, contrairement à ce qui se passe dans les dictatures. C’est au procureur de la République de prouver qu’il y a eu une contrainte au moment de l’acte sexuel avec pénétration. Si c’est le cas, alors l’accusé pourra être jugé pour viol. Sinon, il ira en correctionnelle et sera jugé pour atteinte sexuelle avec pénétration.
P.C. : Il y a une confusion. Nous, les signataires de la lettre au président, nous estimons que pour les enfants de moins de 13 ans, il n’y a pas à se poser la question du consentement. L’idée qui consiste à dire qu’il y a une présomption de culpabilité est fausse juridiquement. En Angleterre, en Allemagne et en Belgique, il y a un âge fixé en-dessous duquel tout acte sexuel avec pénétration est considéré comme un viol, et cela est validé par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Si la Constitution française bloque vraiment cette idée, alors il faut changer la Constitution. Or, je ne suis même pas sûr que ce soit le cas. Les arguments selon lesquels on condamnerait quelqu’un d’office est une énormité juridique. L’agresseur pourra toujours se défendre en disant qu’il n’y a pas eu de relations sexuelles. Je suis avocat et la présomption d’innocence, j’y tiens. Or, nous, les signataires de la lettre, la seule chose qu’on demande, c’est la reconnaissance du « non-consentement » de la victime, car on estime qu’un enfant dans tous les cas ne consent pas à avoir un acte sexuel avec pénétration.
Source : Loi sur les violences sexuelles : juger vite ou juger bien ? – France 24