Le calvaire des mères qui veulent protéger leur enfant de l’inceste
Publié le par Lisa Coll
Elles peuvent être mises en cause et accusées de manipulation lorsqu’elles refusent que leur enfant aille passer le week-end chez le parent agresseur.
La protection des enfants est souvent semée d’épreuves pour les mères. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), chargée par le gouvernement d’élaborer des préconisations de politique publique pour mieux protéger les enfants, organisera des réunions publiques pour les victimes d’inceste le 11 mai à Nancy et le 16 mai à Paris.
Deux nouvelles étapes d’un tour de France où les témoignages de mères reviennent comme une litanie. Adèle (prénom modifié) témoigne à l’AFP :
« Ma fille refuse de passer du temps avec son père, qu’elle accuse depuis l’âge de quatre ans de la toucher sur les parties génitales. Je suis accusée d »aliénation parentale’ par mon ex-mari, ses avocats et les associations de pères qui le soutiennent, de manipuler ma fille contre son père. Ma fille et moi sommes sous le soupçon, soumises depuis sept ans à de nombreuses expertises psychologiques et procédures. Je vis dans la peur de perdre sa garde et qu’elle soit placée. »
La Ciivise dénonce ce « syndrome d’aliénation parentale » (SAP), non reconnu officiellement et défendu par le très controversé et influent psychiatre américain Richard Gardner. Le Parlement européen, dans une résolution d’octobre 2021, exhorte les États de l’UE « à ne pas reconnaître (le SAP) dans leur pratique judiciaire et leur droit. »
Une pétition lancée par l’association féministe #NousToutes pour l’interdire en France a recueilli 27 000 signatures dont celles de nombreux psychiatres et d’ONG. Cinq associations, dont CDP-Enfance, Reppea et Peau d’âme, ont écrit en avril une lettre ouverte dans le même sens au futur président.
Protéger l’enquête
« 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, il faut les trouver et les protéger. Ils en parlent souvent à leur mère », observe Édouard Durand, coprésident de la Ciivise. « Si vous allez au commissariat pour dire qu’on vous a volé votre portable, on vous croit ; si vous révélez des violences sexuelles, le risque sera grand qu’on vous accuse d’affabuler. Or, le risque de fausse déclaration est très faible sur tout le nombre d’enfants en danger », observe ce juge des enfants.
« Mon fils, lors de son dépôt de plainte devant la brigade des mineurs, a décrit des pénétrations, du ‘pipi dans les fesses’ que lui faisait subir son grand-père, animateur de petite enfance. Quand il revenait de chez son père, où il se faisait violer par son grand-père, il était blême, avait perdu sa joie de vivre. Des médecins ont constaté des plaies […], des fissures anales, ont fait des signalements. Pourtant, ma plainte a été classée sans suite », explique à l’AFP Marie (prénom modifié), qui exerce une profession de santé.
« Mon ex-mari m’a accusée d’instrumentaliser notre enfant et de syndrome d’aliénation parentale. Nous avons été soumis, mon enfant et moi, à une enquête sociale pendant quatre ans. Et pour mon fils, des audiences et des auditions, où il revivait sans cesse ses traumatismes. Il faut beaucoup d’énergie pour tenir et beaucoup d’argent pour payer les avocats », ajoute-t-elle.
Depuis février, comme le préconisait la Ciivise, les magistrats ne doivent plus poursuivre le « parent protecteur » qui refuse de remettre son enfant au parent soupçonné de violences sexuelles, le temps que le juge vérifie les allégations. La Ciivise souhaite aller plus loin : qu’en cas de poursuite pénale pour violences sexuelles, l’exercice de l’autorité parentale et le droit de visite soient suspendus de plein droit.
« Cela n’est pas contraire à la présomption d’innocence, pas plus que la détention provisoire d’un suspect pendant l’enquête sur un crime. Mais cela permet de protéger l’enfant », relève le juge Durand.
« On maintient un système où l’enfant passe ses vacances avec l’agresseur. C’est difficile de dénoncer son père et de vivre avec lui. C’est une des raisons du nombre élevé de classements sans suite, de l’ordre de 70 %. Suspendre le droit d’hébergement, c’est protéger l’enquête, en mettant l’enfant à l’abri des pressions de l’adulte soupçonné », explique l’avocat Pascal Cussigh, président de l’association de protection de l’enfance CDP-Enfance.