[Actualité action sociale] L’actualité TSA : Associations et avocats d’enfants dénoncent le traitement réservé aux MNA
Une quinzaine de chaussures fatiguées ont été déposées sur le parvis de la Défense, au pied des escaliers qui mènent à la Grande Arche. Dans certaines est glissé un papier sur lequel est inscrit un prénom ou une simple phrase : « Je veux aller à l’école », « Je veux vivre ici ». Des mots écrits par des mineurs isolés étrangers (MIE) et rassemblés par le Collectif RESF (Réseau éducation sans frontières) MIE 92 qui avait appelé samedi 8 décembre à une mobilisation en faveur de la défense des droits de ces adolescents, « conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant ».
Un peu plus d’une centaine de personnes avaient répondu à l’appel de RESF : militants et bénévoles associatifs (MRAP, Secours catholique, FCPE…), habitants de Nanterre où est installée la cellule départementale d’accueil des mineurs non accompagnés (MNA, autre appellation pour désigner les MIE), avocats du barreau des Hauts-de-Seine, qui ont rejoint le rassemblement à l’issue des 19e Assises des avocats d’enfants organisées dans une salle toute proche.
Collectivement, ils ont dénoncé les droits « bafoués » de ces mineurs, en particulier celui d’être protégés et mis à l’abri. « Ils sont dans un extrême dénuement, confie Hervé Lecomte, qui anime le Collectif RESF MIE 92. Au début nous les accompagnions dans leurs démarches d’obtention de titres de séjour mais petit à petit notre intervention s’est élargie parce que nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient aussi d’importants problèmes pour faire valoir leurs droits élémentaires (hébergement, scolarisation…) ».
Le collectif les aide ainsi dans leurs démarches administratives et juridiques, notamment grâce aux relations étroites nouées avec le groupe mineurs du barreau des Hauts-de-Seine. Celui-ci, sur le modèle de ce qui est fait à Paris, a mis en place depuis le début de l’année une permanence dédiée aux MNA au sein du Conseil de l’ordre. « Depuis septembre, il y a eu 92 commissions d’office pour représenter ces jeunes et 46 bons de consultation délivrés à des mineurs isolés, l’objectif étant que chacun puisse être représenté par un avocat », témoigne Me Isabelle Clanet, responsable du groupe mineurs.
S’ils témoignent avoir « l’écoute des juges des enfants et un traitement judiciaire globalement satisfaisant », associations et avocats pointent le traitement « indigne » réservé aux MNA par les services du département, renforcé selon eux par la mise en place, début juillet, d’une cellule unique de l’aide sociale à l’enfance (ASE) à Nanterre pour accueillir ces mineurs isolés.
Selon les observations des bénévoles associatifs, au moment de l’ouverture de la cellule le matin à 9h, ils sont entre 20 et 30 jeunes à patienter dehors. Sont reçus, lorsqu’ils sont présents, ceux qui ont un rendez-vous fixé avec les services de l’ASE, tandis qu’un ou deux autres jeunes (parfois aucun) sont choisis parmi ceux qui paraissent les plus jeunes, ou parmi les filles quand il y en a, pour un premier entretien. La grosse majorité repart dans la nature, avant de retenter sa chance le lendemain, à l’image d’Abdoulaye, originaire de Guinée Conakry arrivé en France le 12 novembre dernier et qui a couché son récit par écrit : l’assassinat de son père, membre de l’opposition, en 2012, la maltraitance de son oncle, son « voyage » de Guinée en France : « j’ai marché, j’ai grimpé des montagnes, traversé la mer par un zodiac, j’ai été emprisonné en Espagne et refoulé… Arrivé en France, ici je suis dehors chaque jour, sans famille, je dors dehors, sauf si quelqu’un vient au secours pour m’héberger. Les matins, l’ASE me dit : reviens demain, reviens demain, chaque matin… » Avant de conclure : « Mon souhait c’est d’aller à l’école ».
Selon RESF, 87 % des jeunes qui se présentent à la cellule « ne sont pas autorisés à accéder au service et ainsi à faire valoir leurs droits ». Une situation inadmissible pour Hervé Lecomte, pour qui le département est « hors-la-loi ». L’institution, par la voix de son président LR Patrick Devedjian, a répondu à l’interpellation de l’association dans un courrier daté du 6 décembre. Il y rappelle que « dans les Hauts-de-Seine, entre 2015 et 2017, le nombre de jeunes qui se sont présentés en vue d’être accueillis à l’ASE a augmenté de 185 %, cette tendance à la hausse se poursuivant ». Hervé Lecomte ne conteste pas que les MNA sont de plus en plus nombreux mais souligne que c’est un phénomène national qui touche tous les départements. Et rappelle l’obligation faite à ces derniers de mettre à l’abri « toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ».
Et si les services départementaux soulignent l’effort « très conséquent » de la collectivité dans la prise en charge des MNA avec un budget multiplié par 4 entre 2015 et 2018, passé « de 6,5 millions d’euros à près de 28 millions d’euros estimés fin 2018 », l’argument financier passe mal dans un département, l’un des plus riches de France, qui affiche un excédent budgétaire de plus de 400 millions d’euros selon le chiffre donné par la députée Elsa Faucillon (PCF/Front de Gauche) lors de sa prise de parole sur le parvis de La Défense. « Un endroit particulièrement symbolique, lieu d’argent alors que ces jeunes n’ont rien, ils ont fui des pays où il y a des conflits armés, des famines, et la seule réponse qui leur est apportée ici c’est « vous dérangez » », a poursuivi au micro Pierre-Ann Laugery, bâtonnier du barreau des Hauts-de-Seine.
« Lorsque la décision a été de mettre en place une cellule unique, nous ne nous y sommes pas opposés sur le principe mais en raison du manque de moyens », ont pour leur part indiqué deux représentantes de la CGT du département des Hauts-de-Seine. Le syndicat réclamait la présence de psychologues pour accueillir les récits de vie, souvent traumatiques, de ces jeunes, ainsi qu’au moins une dizaine de travailleurs sociaux. Quatre postes ont au final été dédiés à la cellule MNA, dont deux étaient inoccupés début décembre pour cause d’arrêt de travail. « Nos collègues de la cellule sont au bord du burn-out, n’arrivent plus à faire leur métier correctement et ce sont les jeunes qui en pâtissent ».
La création d’un fichier inquiète les acteurs nationaux |
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Dans un communiqué du 7 décembre, les associations nationales de solidarité (Uniopss, FAS, France terre d’asile, Apprentis d’Auteuil, Armée du Salut, Aurore, etc.) appellent « à se mobiliser contre la création d’un fichier mettant à mal le droit des enfants ». « Un projet de décret instaurant le fichage de personnes se présentant comme mineures non accompagnées et demandant protection est actuellement en cours d’examen au Conseil d’État ». Ce texte, s’inquiètent-elles, « établit des liens préjudiciables entre « protection de l’enfance » et « contrôle de l’immigration » ». « Dans les départements qui le mettraient en oeuvre, les préfectures deviendraient alors les portes d’entrée des dispositifs de protection de l’enfance » et « une demande de protection pourrait conduire à une obligation de quitter le territoire français en cas de non-reconnaissance de la minorité », s’indignent-elles. Les associations demandent aux membres du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui doivent donner un avis sur ce texte le 13 décembre, d’exprimer publiquement leur opposition et d’initier un travail de concertation. |