« Outreau un cauchemar français : une série voyeuriste qui prend le parti des accusés »

« Outreau un cauchemar français : une série voyeuriste qui prend le parti des accusés »

« Outreau un cauchemar français : une série voyeuriste qui prend le parti des accusés »

Faire preuve de réflexion et d’esprit critique demande de nombreux efforts et un travail de recherche pointu et rigoureux. Or, rien de tout cela n’est présent dans la série « Outreau : un cauchemar français ». En effet, la déontologie journalistique s’efface derrière la volonté de faire de l’audimat en racontant un fait divers sordide au mépris de la recherche de la vérité.

C’est dommage car cette série aurait aurait pu être l’occasion de revenir sur les errements d’un procès devenu une chronique judiciaire injuste et maltraitante, au mépris de la défense d’enfants victimes. La série « Outreau : un cauchemar français » propose une vision désastreuse de la justice : une absence de prise en compte de la parole des enfants, un procès spectacle mené par les avocats de la défense ainsi que des médias menteurs et manipulateurs.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes :

Temps de paroles dans la série « Outreau : un cauchemar français » source : Blog de Jacques Cuvillier

Après un rapide décompte des temps de témoignages, la répartition de la parole au sein de la série pose d’ores et déjà question. En effet, la moitié du temps de parole totale de la série est donnée aux avocats de la défense, rejouant le procès déséquilibré de 2004. Au procès, il y avait dix-neuf avocats pour les dix-sept accusés contre deux pour les douze enfants victimes, orchestrant un décalage dans le temps de parole.

En outre, les avocats de la défense : Eric Dupont-Moretti, Hubert Delarue, Franck Berton et Fabienne Roy-Nansion pour les plus connus, vont revenir sur le procès en se permettant des phrases d’une violence terrible comme « En même temps, ils racontent des balivernes » ou en se moquant des enfants. Le plus choquant reste sans doute le plaisir qu’ils prennent à revenir sur cette affaire en racontant leurs souvenirs avec une gestuelle théâtrale ou encore en faisant des coups de gueule face caméra. Aucun ne montre de l’empathie pour les victimes ou n’a une parole compatissante pour parler des sévices qu’ils ont subis. Pour eux, ils sont et resteront des menteurs.

« la parole des enfants n’est tout simplement toujours pas audible. »

Plus problématique que la place laissée aux avocats de la défense dans la série, la parole des enfants n’est tout simplement toujours pas audible. Sur douze victimes seul Jonathan Delay témoigne et sa parole sera limitée à un total de quatre minutes sur la totalité des quatre épisodes. Cela représente dix fois moins que pour les avocats des accusés, sans parler des nombreuses coupures et du montage qui sous-entend que le jeune homme est un peu perdu dans ses accusations.

« Sur douze victimes seul Jonathan Delay témoigne et sa parole sera limitée à un total de quatre minutes« 

Même si l’on peut supposer qu’il s’agit d’une volonté des autres enfants de ne plus parler de cette affaire, il n’en demeure pas moins qu’ils ne seront jamais mentionnés dans la série. Il faudra même attendre le générique du dernier épisode pour tomber des nues et comprendre qu’il y a bien douze enfants qui ont été reconnus victimes de sévices sexuels. Sans cela, le spectateur pourrait presque croire que tout repose sur le témoigne de Jonathan Delay et qu’il est la seule victime.

Pourtant, plusieurs enfants ont témoigné et dénoncé les viols subis, faisant échos aux dénonciations de Myriam Badaoui, la mère des enfants Delay. Mais la série se montre ici encore peu claire : les accusations se succèdent sans que l’on sache réellement qui est accusé de quoi, pourquoi et dans quelles circonstances. L’effet, probablement escompté, est de donner une impression de précipitation et d’emballement expliquant la multiplication de fausses accusations.

Il aurait été toutefois simple de mentionner que tous les enfants ont été examinés par sept experts (deux lors de l’instruction et cinq lors du procès de Saint-Omer en 2005) et que « tous ont été déclaré crédibles et exempts de tendances à l’affabulation. Leurs déclarations ayant reçu la confirmation par certains éléments matériels »1.

Mais au lieu de s’appuyer sur les témoignages des enfants dont la crédibilité a été approuvée par plusieurs experts, la série préfère disculper la parole de l’experte Marie-Christine Gryson-Dejehansart en contrebalançant son expertise par celle de Paul Bensoussan. Cet expert est mentionné par Eric Dupont-Moretti alors même qu’il n’a jamais rencontré les enfants et nonobstant le fait qu’il est bien connu des associations de défenses des enfants pour ses pratiques diffamantes envers les victimes ou les parents protecteurs.

La série décide de ne pas mentionner non plus le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de mai 2007 intitulé « Le rôle des services de santé dans l’affaire dite d’Outreau » qui, en se basant sur les dossiers médicaux, mentionne que cinq enfants issus de deux familles innocentées présenteraient des « signes évocateurs » de maltraitance ou d’abus sexuels.

 « Le rôle des services de santé dans l’affaire dite d’Outreau » qui, en se basant sur les dossiers médicaux, mentionne que cinq enfants issus de deux familles innocentées présenteraient des « signes évocateurs » de maltraitance ou d’abus sexuels. »

Ainsi, de manière curieuse, les éléments factuels permettant d’établir la crédibilité des enfants ne sont jamais mentionnés dans la série. Il est pourtant difficile de croire que les journalistes n’en aient pas eu connaissance au moment de la réalisation.

Enfin et toujours dans l’objectif de remettre en question la parole des enfants et de reproduire le procès de première instance de 2004, la série ne cesse de revenir sur les attaques des avocats de la défense menées contre le manque de professionnalisme du juge Burgaud. Une accusation qui frise le ridicule tellement elle est répétitive et stéréotypée. Or le juge Burgaud, dont le témoignage reste professionnel et technique dans chacun des quatre épisodes, et ce malgré des coupures fréquentes et abruptes, ne se permet jamais la moindre attaque envers quiconque. Certains gros plans silencieux de la série semblent même vouloir le présenter comme le responsable de la faillite du procès Outreau. Or, le juge Burgaud n’a reçu qu’une « réprimande » par le Conseil supérieur de la magistrature, pour manque de rigueur. Il n’est pas accusé d’avoir saboté une affaire et accusé injustement des innocents, un élément qui est d’ailleurs présenté comme questionnable dans la série. Par ailleurs, chacune de ses décisions a été confirmée par la Chambre de l’instruction de la Cour d’Appel. A supposer qu’il se soit trompé, il faut donc admettre que d’autres magistrats plus expérimentés ont eu la même analyse que lui…

Ce qui est finalement le plus terrible dans l’affaire Outreau – et qui est complètement occulté par la série – c’est la perte de confiance de l’institution judiciaire en la parole de l’enfant : Un « effet Outreau », dénoncé par de nombreuses associations de défense des droits des enfants, qui estiment que cette affaire a causé un bond en arrière de quinze ou vingt ans dans la façon dont sont pris en charge les enfants victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques2 . D’autres, comme Eugénie Izard, pédopsychiatre et présidente du Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence (REPPEA) déclare qu’« il n’est pas rare que l’affaire d’Outreau soit brandie dans les affaires d’inceste ou pédophilie, soit par les agresseurs, soit par les personnes chargées d’évaluer les enfants » et que cette affaire « contribue à maintenir un certain nombre de professionnels dans le déni ». Or chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles pour seulement un millier de condamnations d’après rapport final de la CIIVISE de novembre 2023.

Les réalisateurs n’ont donc pas cherché à présenter un nouveau regard sur l’affaire Outreau qui aurait pu, pour une fois, mettre en avant la parole des enfants. Ils n’ont pas choisi non plus de parler du problème politique que représente l’inceste et la maltraitance des enfants ou encore des avaries de la justice pour punir ces déviances. Malheureusement, « Outreau : un cauchemar français » se borne à asséner le même message que le procès en appel, en donnant la parole uniquement à la défense, en acquittant les accusés, en récusant la parole des victimes, en dénonçant le travail d’un juge et en oubliant les douze enfants victimes de prédateurs sexuels et leurs souffrances.

Charline Wagner – CDP – Enfance

1 voir l’arrêt du 1er juillet 2003 de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Douai :« Les enfants Delay ont fait des déclarations circonstanciées, cohérentes, concordantes, à différents moments de la procédure, tant devant leurs assistantes maternelles respectives, que lorsqu’ils ont été entendus par les enquêteurs de police, par les experts qui les ont examinés et par le Juge d’instruction […]. Tous les enfants examinés sur le plan psychologique ont été déclarés crédibles et exempts de tendances à l’affabulation. Leurs déclarations ont reçu la confirmation de certains éléments matériels (la découverte de photos pornographiques, dont l’une où l’un des enfants Delay était visible, la saisie de godemichés et autres sexes artificiels chez les époux Delay, la description de la maison des époux Marécaux, des descriptions physiques, notamment des tatouages sur François Mourmand) […]. »

2 C’est ce que dénonce notamment Isabelle Aubry, présidente de l’Association internationale des victimes de l’inceste (Aivi),

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